La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) dynamise ou dynamite-t-elle la procédure pénale ?
« Un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès ». La maxime balzacienne (Illusions perdues T.5 - 730) bien connue des avocats civilistes et des tenants de la Théorie de jeux reste relativement étrangère à la matière pénale que l’on associe plus volontiers à la seule confrontation entre d’une part, la défense du prévenu et, d’autre part, l’accusation soutenue par le ministère public. Lors de son discours prononcé à l’occasion de l’audience de rentrée solennelle du Tribunal de grande instance de Paris, le 19 janvier 2015, son président, Jean-Michel Hayat, a proposé que le « plaider-coupable » puisse être multiplié en matière économique et financière. Interrogé sur cette proposition, il précisait qu’après avoir réuni l’ensemble des juges d’instruction du pôle financier, « tous m’ont fait part de leur perplexité face à une réponse pénale qui intervient cinq ans, sept ans, voire dix ans après la date des faits, compte tenu des batailles de procédures, de la complexité des investigations, de la sophistication des circuits de fraude ». La procédure de Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité (« CRPC ») a été instituée par la loi dite « Perben II » du 9 mars 2004. Cette procédure permet au Procureur de la République de proposer au prévenu qui accepterait le principe de sa responsabilité pénale, une peine que ce dernier peut accepter ou refuser. Dans ce cadre, et après homologation par un juge, le prévenu peut être condamné au maximum à la totalité de la peine d’amende encourue et/ou à une peine d’emprisonnement ne pouvant excéder la moitié de la peine d’emprisonnement prévue, sans pouvoir excéder en toute hypothèse, une année d’emprisonnement. S’agit-il de révolutionner la matière pénale en y instillant une dose de dialogue, de négociation, voire de « compromis » ? Si oui, la révolution a eu lieu alors, mais dans un silence quasi unanime puisque l’extension du « plaider-coupable » aux infractions économiques et financières et la possibilité accordée au juge d’instruction d’y recourir résultent d’une loi datant du 13 décembre… 2011 ! Prudence des magistrats à recourir à cette procédure pour des affaires financières complexes sur le fond ? Déformation professionnelle des avocats « pénalistes » pour qui seul compterait le combat livré dans l’arène d’une salle d’audience ? Dans tous les cas, les germes d’une évolution de la justice pénale laissant davantage de place à un dialogue judiciaire qui ne tiendrait plus seulement de l’affrontement à l’audience sont là. En 2008, un groupe de travail présidé par Jean-Marie Coulon déposait un rapport sur « La dépénalisation de la vie des affaires ». Sept ans après, la prégnance de la sphère pénale sur la vie des affaires reste d’actualité. Le 1er février 2014, un Parquet financier national était inauguré et la réflexion s’oriente désormais non plus sur une dépénalisation de la vie des affaires mais sur une structuration différente du cadre pénal appliqué aux infractions économiques et financières. La répression des infractions économiques et financières est une fonction stratégique du droit pénal car elle touche tout un pan d’agissements complexes à débusquer et préjudiciables au lien de confiance indispensable entre la société et ses élites. Il y a une forme d’ironie à ce que le « plaider coupable », qui a été initialement créé pour traiter les délits routiers et les délits flagrants d’une délinquance socialement marquée, puisse désormais s’appliquer à la délinquance en « col blanc » et cravatée, celle qui préfère les moquettes épaisses de clubs prisés à la fréquentation du Parquet. Cette procédure présente des avantages : pour l’institution judiciaire, elle permet d’allouer les moyens qui lui sont consacrés, et qui demeurent insuffisants au regard de nos voisins européens, aux dossiers les plus complexes. Pour le justiciable, elle signifie des procédures plus rapides et donc une exposition médiatique raccourcie et moins intense, la seule audience publique se tenant exclusivement sur l’homologation par un juge du siège de la formation concernée, de l’accord passé avec le ministère public. Pour la partie civile, elle permet une indemnisation plus rapide. Enfin, et peut être surtout, elle permet à l’Etat, créancier des amendes prononcées, et partie civile dans plusieurs des dossiers concernés, de faire rentrer plus rapidement l’argent versé dans ses caisses. Quel sort sera-t-il réservé à la mise en œuvre du « plaider-coupable » en matière économique et financière ? La volonté affichée par la magistrature d’y recourir plus fréquemment tout comme la centralisation des procédures susceptibles d’être concernées sous l’égide du Parquet national financier, qui permet une plus grande mise en cohérence des solutions proposées, n’efface pas néanmoins plusieurs obstacles susceptibles de tempérer son développement. Il a été fait écho dans la presse de ce qu’une telle démarche aurait été entreprise en vain s’agissant d’un établissement bancaire suisse dans le cadre d’une information judiciaire portant sur des comptes non-déclarés. En effet, en reconnaissant les faits qui lui sont reprochés et en acceptant le prononcé d’une condamnation pénale, la banque a considéré qu’elle risquait un retrait de licence aux Etats-Unis. D’un autre côté, même à considérer qu’un accord transactionnel puisse être trouvé avec les parties civiles, au premier rang desquelles figure l’Etat français, en contrepartie d’un retrait de leur plainte, cela ne permettait pas de faire disparaître l’action publique, le parquet demeurant libre de maintenir les poursuites engagées. In fine, dans le cadre actuel, même si une discussion peut se nouer entre les protagonistes de la procédure pénale engagée, l’opportunité des poursuites permet au Parquet de rester maître de son appréciation quand à l’utilité de voir tel ou tel comportement pénalement sanctionné. Certains s’en féliciteront ; d’autres y verront un frein irrémédiable au développement du « plaider coupable », pariant sur le fait que les entreprises mises en cause préféreront un combat judiciaire à plus ou moins long terme plutôt que la certitude d’une condamnation à brève échéance. Aussi, la démonstration de la célérité du traitement des affaires par la Procureur national financier et les condamnations prononcées par la 32e chambre correctionnelle, toute récemment créée pour les juger, pèseront dans les arbitrages qui pourront être faits. Ivan TEREL