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31.03.2020

Même en période de crise, on ne prête qu’aux plus forts : les entreprises en difficulté face au Prêt Garanti par l’État

Même en période de crise, on ne prête qu’aux plus forts : les entreprises en difficulté face au Prêt Garanti par l’État

Informations du 30 mars 2020

 

La semaine passée, le gouvernement a mis en place des mesures d’aides financières aux entreprises, l’État garantissant soit par la BPI soit directement les financements bancaires que pourraient demander les entreprises. L’enveloppe débloquée pour les financements garantis par la BPI est de de 700 millions d’euros alors que l’enveloppe pour les Prêts Garantis par l’Etat est de 300 milliards d’euros. C’est évidemment dans cette dernière catégorie que les entreprises iront principalement chercher leurs financements. Le gouvernement, sous la contrainte de la règlementation européenne, a édicté des conditions d’éligibilité pour l’octroi de ces financements aidés; conditions prenant notamment en compte la santé financière du bénéficiaire. 

La question s’est immédiatement posée de savoir si ces aides profiteraient à toutes les entreprises, et surtout aux plus faibles d’entre elles, c’est-à-dire celles qui en ont le plus cruellement besoin. 

En l’état, la réponse est extrêmement claire : les entreprises les plus faible ne peuvent bénéficier du dispositif d’aides financières mis en place (1). Les professionnels du restructuring ont alerté l’Etat sur cette difficulté (2). Des pis-aller sont ENCORE disponibles (3).  

 

I. Le Prêt Garanti par l’Etat n’est, à ce jour, pas ouvert aux entreprises les plus faibles

 

a. Les entreprises bénéficiant d'un plan de sauvegarde ou de continuation ne peuvent bénéficier du Prêt Garanti par l’Etat

 

Le texte de l’arrêté du 23 mars 2020 est extrêmement clair, les entreprises en plan de sauvegarde ou en plan de redressement ne peuvent bénéficier d’un Prêt Garanti par l’Etat et donc de l’aide financière prévue. On sait la difficulté pour une entreprise de sortir d’une procédure de redressement judiciaire. La procédure de redressement judiciaire et/ou de sauvegarde, même si elle présente des avantages indéniables, constitue toujours un traumatisme consécutif à la crise qu’a traversé l’entreprise. L’entreprise est toujours convalescente à la sortie d’une telle procédure. Au-delà, on sait qu’elles ont les plus grandes peines - pour ne pas dire qu’elles sont dans l’impossibilité - de trouver des partenaires bancaires, quand bien même des banques spécialisées développent des services qui leur sont dédiées. On citera à cette place notamment la banque Thémis. 

Précisément les entreprises qui sont en convalescence, qui n’ont pas accès aux financements bancaires et qui se trouvent confrontées comme les autres à la difficulté supplémentaire de la crise du Coronavirus se voient privées de l’accès aux financements aidés. Ainsi, paradoxalement, les besoins de financements des plus forts vont être satisfaits face à une crise sans précédent, les plus faibles, confrontés à la même crise, seront privés de cette aide. 

On aurait pu se consoler en disant que le dispositif reste ouvert aux entreprises en mandat ad hoc ou en conciliation ; procédures dont les pouvoirs publics et les professionnels n’ont cessé de vanter les mérites et de promouvoir l’usage. En effet, l’article 3 de l’arrêté du 23 mars 2020 permet aux entreprises en conciliation ou en mandat ad hoc de bénéficier du prêt aidés par l’Etat. C’est une disposition extrêmement importante, mais sa portée se trouve dans les faits très limitée. En effet, la porte ouverte par l’arrêté, offrant à ces entreprises en mandat ad hoc ou en conciliation l’accès aux prêts aidés, se trouve très largement refermée par la règlementation européenne. Ainsi qu’il en sera question ci-après, la Commission Européenne a indiqué dès le 21 mars 2020 que les entreprises « en difficulté » au sens du droit européen, n’étaient pas éligibles aux dispositifs mis en place par le gouvernement français. Or, le plus souvent – pour ne pas dire dans l’immense majorité des cas – les entreprises qui se placent sous la protection d’une procédure de mandat ad hoc ou de conciliation, sont « en difficulté » au sens du droit européen et non du droit du droit français. La mesure ressemble à un trompe l’œil.    

 

b. La définition large de « difficultés » en droit européen prive nombre d’entreprises de l’accès au Prêt Garanti par l’Etat 

 

Dès le 21 mars, la Commission, dans une réponse à l’Etat français, a indiqué que les aides d'Etat annoncées devaient être limitées : « à des entreprises qui ne sont pas en difficulté et/ou à des entreprises qui n’étaient pas en difficulté à la date du 31 décembre 2019 mais qui sont entrées en difficulté à la suite de l’apparition de la pandémie de COVID-19 ». Ce texte européen renvoi à la définition de droit européen d’entreprise en difficulté. Schématiquement, en droit européen une entreprise est considérée en difficulté notamment si :      

- ses capitaux propres sont inférieurs à la moitié de son capital social en raison des pertes accumulées ;

- si elle est en état de cessation des paiements, c’est-à-dire si elle n’est pas en mesure de faire face à son passif exigible avec ses disponibilités financières ;

- si, pour les entreprises qui emploient plus de 250 personnes ou dont le CA dépasse 50 millions d'euros ou dont le total de bilan excède 43 millions d'euros, lorsque depuis les deux exercices précédent

            - le ratio emprunts/capitaux propres est supérieur à 7,5 et 

            - le ratio de couverture des intérêts, calculé sur la base de l’EBITDA, est inférieur à 1,0.

 

Ainsi, qu’elle soit grande ou petite, une fois encore l’entreprise affaiblit par ses difficultés de structure bilancielle ou de trésorerie, ou des deux, et qui se trouve confrontée à la difficulté supplémentaire de la crise du Coronavirus, ne pourra pas bénéficier du système d’aides financières mis en place par l’Etat. 

Une lueur d’espoir cependant, la date des difficultés s’apprécie au 31 décembre 2019. Le texte est imprécis, mais on peut considérer que les entreprises dont les difficultés sont apparues après cette date peuvent bénéficier du dispositif. Une chose est certaine, les entreprises dont les difficultés sont la conséquence de la crise sanitaire sont éligibles aux prêts aidés par l’Etat. Ainsi, les entreprises saines au 1er janvier 2020 bénéficient du système d’aides, celles qui étaient déjà faibles à cette date ne seront pas aidées. Toutes choses égales par ailleurs, la situation serait un peu comme si on refusait une aide médicale à ceux qui souffrent déjà d’autres pathologies et pour ce seul motif. On peut comprendre les motivations d’équilibre de la concurrence qui guident les autorités européennes et qui limitent l’aide aux entreprises en difficulté pour ne pas défavoriser les entreprises saines. Ici encore, toutes choses égales par ailleurs, ces considérations ne sauraient s’imposer face à l’ampleur de la crise.

 

II. Les professionnels du restructuring ont alerté l'Etat sur ces difficultés 

 

Les professionnels du restructuring, dont la prestigieuse ARE (Association pour le Retournement des Entreprises), ont alerté les pouvoirs publics sur la nécessité de faire évoluer le périmètre des entreprises éligibles au Prêt Garanti par l’Etat. De même l’Institut Français des Praticiens des Procédures Collectives, par un courrier au Ministre de l’Economie et des Finances, a demandé que le dispositif de garantie de prêt par l’État soit étendu aux entreprises en plan de sauvegarde ou de redressement. Des administrateurs judiciaires ont indiqué que plusieurs entreprises se sont déjà vues refusées le bénéficie du Prêt Garanti par l’Etat au motif qu’elles étaient en procédure de conciliation, alors même que l’existence d’une procédure de conciliation ne prive pas, à elle seule, une entreprise du droit de bénéficier d’une telle aide. Autrement dit, le texte du dispositif actuel, conjugué à la réglementation européenne, suscite la méfiance des partenaires bancaires et certaines demandes de prêts ont déjà été rejetées alors même que les entreprises remplissaient toutes les conditions requises par la règlementation française et européenne pour bénéficier de cette aide. Une adaptation du dispositif semble aujourd’hui vitale. 

 

III. Les pis-aller encore disponibles  

 

En attendant une éventuelle amélioration du dispositif d’aides financières, les entreprises « en difficulté » – en période de clôture de bilan - doivent apporter une attention toute particulière à l’arrêté de leurs comptes au 31 décembre 2019. Les arbitrages comptables ne doivent plus être guidés par des considérations d’optimisations fiscales mais par la recherche d’un équilibre bilancielle primordial. En effet, pour les motifs ci-avant, celles qui parviendront à démontrer qu’elles n’étaient pas en difficulté, au sens du droit européen et notamment que leurs capitaux propres sont supérieurs à la moitié de leur capital social, pourront recourir au Prêt Garanti par l’Etat.

 

Les autres devront se replier sur les mesures d’aides mises en place, et notamment le report du paiement des charges sociales et des impôts directs, le chômage partiel, le différé de paiement des loyers et la bienveillance des Banques dans le respect des prêts en cours, et telle que ces mesures ont été présentées dans notre note du 12 mars 2020 – 8 mesures pour faire face au Coronavirus (mise à jour le 13 mars 2020). Une fois encore la pleine efficacité de ces mesures supposera d’être accompagné par des professionnels aux nombres desquels figurent les administrateurs judiciaires, les experts-comptables et auditeurs et les avocats spécialisés dans la prévention et le traitement des difficultés des entreprises.

 

Dans tous les cas, on ne peut qu’appeler de nos vœux, une modification du dispositif présenté. 

 

 

PJ : Dossier de presse du Ministère de l’Économie sur les Prêt Garanti par l’Etat du 24 mars 2020